Les étapes de la création du Mémorial

La mémoire de l’extermination des Juifs (et des minorités) n’est pas apparue subitement dans les années 60. Elle n’est pas linéaire et elle est née dans l’ombre du crime. Cette mémoire c’est manifestée sous différentes formes: des cérémonies commémoratives, des plaques, des monuments, des témoignages, des œuvres littéraires ou cinématographiques… Cette mémoire est nourrie, et influencée, mais parfois aussi contredite par les travaux des historiens. Cette confrontation de la mémoire (ou des mémoires) est souvent conflictuelle mais indispensable sous bien des rapports.

En Europe, la mémoire de la Shoah se confond dès 1945 avec la mémoire de la déportation. Ainsi, toutes les souffrances dans les camps nazis semblent poser le principe erroné d’une mort commune. C’est ce qu’Henry Bulawko appelle une “espèce de globalisation au détriment de la vérité historique”. C’est seulement à partir de la fin des années 50 qu’une lente évolution des mentalités se produit, et cela débouche sur une reconnaissance nouvelle du sort des Juifs pendant la seconde guerre mondiale. Ainsi, cette brève introduction générale sur la mémoire semblait importante, avant d’évoquer la mémoire dans le cas particulier de Bergen-Belsen.

Dans ce camp, se sont les survivants qui ont installé les premiers signes commémoratifs à l’endroit même où ils ont vu  leurs camarades, ou des membres de leur famille parfois même, mourir. Ils ont notamment installé des tablettes et des plaques commémoratives sur les fosses communes, et l’armée britannique a à son tour installé des tablettes grand format à l’entrée de l’ancien camp.

(source: site Internet du mémorial de Bergen-Belsen)

Un mémorial de fortune en bois a été érigé par des dignitaires juifs pour le premier congrès des Juifs libérés dans la zone britannique. Pour la plupart des survivants juifs, Bergen-Belsen n’était pas seulement un lieu de deuil pour les morts, mais il est symboliquement lié aux objectifs politiques actuels: l’émigration en Palestine et la fondation de l’Etat d’Israël.

Après la libération du camp, un comité polonais avait été formé notamment pour conserver la mémoire des victimes et une grande croix en bois a été installée le 2 novembre 1945, en en décembre de la même année, un monument aux victimes soviétiques du camp a été construit. Et c’est cinq ans plus tard qu’il sera remplacé par un mémorial en pierre. Il sera démoli en 1958, alors que les morts ont été déplacés.

Les survivants n’étaient pas les seuls à souhaiter que leurs camarades soient commémorés. En effet, dès septembre 1945, le gouvernement britannique militaire a ordonné la création d’un lieu commémoratif digne de ce nom.Les plans initiaux prenaient uniquement en compte les zones attenantes aux fosses communes. Une sorte de cimetière a été créé. En 1946, on y inaugura une obélisque ainsi qu’un mur d’inscriptions. En novembre 1952, la responsabilité de ce mémorial a été transférée à l’Etat de Basse-Saxe, et cela en fait donc le plus vieux monument commémoratif appartenant à l’Etat. Toutefois, quelques années plus tard, Bergen-Belsen a été quelque peu oublié et a même été vandalisé, jusqu’au début des années 60 où les premières publications scientifiques sur le camp ont conduit à la création d’une maison des documents. Une exposition permanente a alors été mise en place. C’est seulement en 1985 que cette maison accueillera des chercheurs et des scientifiques effectuant des recherches sur place. Et en 1990, une nouvelle exposition permanente a été inaugurée dans la salle des documents, qui avait été agrandie au préalable.

Les années 2000 ont permis une refonte totale du site ainsi que de l’exposition permanente, et le Centre de documentation actuel a ouvert ses portes en 2007.

(source: site Internet du mémorial de Bergen-Belsen)

Cette image représentant les photographies exposées lors de l’exposition de 1966 permettent de faire le lien entre cette partie et celle parlant plus précisément de la “muséalisation” du camp. En effet, il est intéressant d’évoquer la “muséalisation” des photographies prises dans les camps nazis. La photographie a une capacité par nature à témoigner de la réalité. Ainsi, elle a permis une nouvelle prise de conscience  et a permis d’aborder différemment l’histoire des camps nazis et de créer des débats sur l’émergence d’une culture de commémoration. Les historiens et les photographes ont alors commencé à travailler sur ces thèmes très controversés avec leurs méthodes et techniques parallèles. Ainsi, des artistes tels que Boltanski ont choisi de traiter les photographies provenant des camps, et peu importe que ce soit dans un but artistique ou documentaire.

Les artistes se sont aussi beaucoup intéressés à la transformation du lieu historique en espace muséal. Des approches historiques très variées ont ainsi vu le jour. Reinhard Matz par exemple, photographie la “muséification” (ou “muséalisation”) d’une manière très sobre, alors qu’Henning Langenheim préfère la précision du document noir et blanc. Certains photographes ont refusé d’esthétiser l’horreur, et ont choisi de photographier les camps d’une manière très rudimentaire: sans cadrage ni effet de lumière. Les artistes cherchent à contrebalancer l’enchevêtrement visuel des stratégies de “muséification” des camps.

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